[Interview] Rencontre avec Philippe Malaval, enseignant-chercheur spécialiste du marketing BtoB
- Dounia Issaa
- 17 avril 2014
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Sur le sujet du BtoB, nos questions sont nombreuses, autant qu’à son appréciation qu’à son utilisation. Nous avons interviewé Philippe Malaval, enseignant-chercheur spécialiste du marketing BtoB, à ce sujet.
Quelles sont les spécificités du marché BtoB en général ?
Il existe tout d’abord une hétérogénéité des marchés BtoB qui se décomposent en trois catégories :
– le BtoB de grande diffusion qui s’adresse à une clientèle professionnelle mais en très grand nombre. Dans ce cas, nous aurons un marketing qui est très proche du BtoC et les mêmes outils pourront être utilisés, qu’il s’agisse des études en amont, des panels ou encore des supports de communication.
– le BtoB récurrent, anciennement appelé « marketing industriel ». Il est caractérisé par une relation continue entre le fournisseur et le client, à l’instar de l’équipementier automobile.
– le marketing de projet ou d’affaires qui se caractérise par une relation non continue entre le fournisseur et le client et par des procédures d’achat longues et complexes (appels d’offres).
La deuxième spécificité que j’aimerais mettre en avant concerne l’objet de la transaction. En BtoB, c’est une activité économique que l’on vend plutôt que le bien lui-même. Par exemple, dans un contexte BtoB de grande diffusion, si nous vendons à des coiffeurs, l’activité de Schwarzkopf, de Kérastase ou de L’Oréal, ce n’est pas le shampoing ou le colorant que l’on vend en réalité mais plutôt le profit que ce confrère va pouvoir réaliser en justifiant sa prestation, le produit n’étant finalement que le vecteur de l’activité économique.
Enfin, une des grandes spécificités du BtoB est le temps. Contrairement au BtoC, conquérir un client en BtoB est extrêmement long et diffère selon les spécificités du marché. Si l’on est sur un mode projet par exemple, le temps d’approche d’un client peut être de 2 ou 3 ans.
Quelles sont les problématiques commerciales propres au BtoB ?
Une des premières problématiques est l’achat. En BtoB, il s’agit généralement d’un achat de groupe avec des conflits, des tensions entre les différentes personnes qui vont œuvrer à cet achat. Contrairement à un contexte marketing grand public, le trio acheteur-prescripteur-utilisateur possède beaucoup plus de poids sur la décision finale, et selon les secteurs, les moments et les difficultés, ces acteurs gagnent ou perdent en poids et en importance. En cette période de crise, les entreprises ont tendance à préconiser des logiques strictement financières, et donc à demander à leurs services achats de réduire les coûts au maximum. L’enjeu pour le fournisseur sera de convaincre l’ensemble des acteurs qui exercent une influence quelconque sur la décision d’achat.
Autre point, le contrôle d’intermédiaires. L’arrivée d’internet fait apparaitre de nouveaux concurrents qui remettent complètement en cause la fidélité de la relation, pourtant si caractéristique du BtoB. Et là, je vous renvoie directement à la notion de risque perçu. Concrètement, plus le risque perçu est faible (secteur textile par exemple), et plus on va mettre un terme à la relation pour trouver un concurrent moins cher. Inversement, si l’on prend pour exemple le secteur de l’aviation, la notion de risque est beaucoup plus élevée et on ne peut pas se permettre de jouer sur la qualité des produits. Certains secteurs sont donc plus protégés que d’autres par rapport à ce risque de court-termisation.
Quelles sont les tendances en matière de pratiques commerciales et de distribution ?
J’aurais tendance à les représenter en choisissant l’image du sablier, avec le développement de deux pratiques extrêmes : appels d’offres d’un côté pour les produits à forte valeur ajoutée (exemple du secteur de l’aviation), et généralisation de l’achat online pour les achats de consommables ou les produits à faible valeur ajoutée. Cette tendance s’est aujourd’hui largement développée et force est de constater qu’avec la crise, certains services achats parviennent à imposer cette logique pour des catégories de produits allant des consommables jusqu’aux petits équipements.
Néanmoins, au centre du sablier, les pratiques commerciales classiques demeurent avec des acteurs qui parviennent à garder une force de vente très active sur le terrain. C’est le cas par exemple de Würth ou d’Hilti. Il ne faut donc pas se laisser prendre par des discours simplificateurs. Internet reste un outil, un complément d’information et ne se substitue en aucun cas à la force de vente. Car une des particularités du BtoB repose justement sur l’importance des interactions entre les différents acteurs présents sur le terrain. En BtoB, la communication reste principalement basée sur la confiance et la relation interindividuelle. Donc pour être réellement efficace en BtoB, il faut combiner un positionnement à la fois fonctionnel et relationnel.
Enfin, on note également un élargissement de l’offre, privilégiant la notion de service. Tandis qu’au départ, on vendait majoritairement des outils, on propose aujourd’hui de plus en plus de services avec du fleet management. Cela signifie que l’on va garantir à l’artisan qu’en cas de panne ou de vol, on lui apporte dans la nuit le même outil avec les mêmes consommables pour que ses ouvriers ne soient pas en chômage technique et qu’ils puissent continuer le chantier. Ce n’est plus un produit qui est vendu mais un service permettant d’assurer une continuité de fonctionnement et d’efficacité.
L’innovation a-t-elle une place dans le marketing BtoB ?
Bien évidemment que oui ! C’est même dans le BtoB que l’on est le plus innovant puisqu’il y a de quoi rire quand on entend aujourd’hui parler de One-to-One en BtoC ! Quand un hôtel, y compris de grand luxe, fait soi-disant du One-to-One, c’est faux car les gens n’appartiennent en réalité qu’à des segments, alors qu’en BtoB, l’offre sur-mesure peut exister.
En termes d’innovation ou de tendance récente, on peut aussi parler de la marque ingrédient ou « in brand » pour utiliser le terme anglo-saxon. Cela signifie que je ne m’adresse plus seulement à mon client professionnel mais je m’adresse en même temps au client de mon client pour lui apporter un complément d’information ou le rassurer sur la qualité d’un produit etc. Cela devient progressivement une composante de la demande du client final. Si l’on prend l’exemple de la marque des sièges de voiture Recaro, le client final sera encore plus fier de rouler dans une voiture de luxe si le siège est signé Recaro parce que cette marque a tellement investi en image haut de gamme autour de la compétition et du rallye que le segment de client qui est suffisamment aisé pour s’acheter des voitures de luxe et qui en même temps aime la compétition automobile, exigera cette marque pour les sièges de sa voiture. En agissant ainsi, le fournisseur Recaro prend un avantage majeur sur ses concurrents : il ne fournit plus seulement des équipements automobiles, mais bien de la valeur ajoutée à ses clients constructeurs pour le bénéfice de l’utilisateur final.
Pourquoi le BtoB est-il un marché mal aimé et mal perçu ?
Tout d’abord, le BtoB est très souvent associé au marketing industriel ou BtoB récurrent. Malheureusement, il existe un apriori négatif à l’égard du contexte industriel qui est considéré injustement comme ingrat. Et c’est cette image négative qui est véhiculée et donc directement associée au BtoB.
Il existe ensuite une raison simple qui est que le BtoB est pendant longtemps resté en dehors de la lumière. On le constate tous les jours dans les écoles : les jeunes ont envie de travailler dans une entreprise connue et c’est un phénomène mondial que vous retrouvez aussi bien à Casablanca qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne… Le BtoB souffre d’un déficit d’image dû à un manque de communication mais cela se corrige tous les jours. Les entreprises BtoB conservent un pourcentage très positif d’évolution des budgets publicitaires.
Enfin, le marché du BtoB fait peur à certains car en s’adressant à des professionnels, on s’adresse à des gens forcément plus experts. Un coiffeur s’y connait plus en shampoing qu’une consommatrice lambda. Cela nécessite donc de travailler un peu plus, de rentrer dans le détail, de mieux comprendre le produit… ce qui peut en rebuter certains.
Pourtant, ces personnes progressent beaucoup plus vite professionnellement. On constate aujourd’hui que les personnes qui font le choix de professions marketing et commerciales BtoB ont des carrières plus efficaces, plus rapides que ceux qui travaillent dans des entreprises BtoC.
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