Regards d’experts | L’interview de Mouloud Dey
- Kiss The Bride
- 19 février 2014
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Quel regard portez-vous sur le phénomène Big Data ?
Depuis quelques années, les entreprises ont accumulé énormément de données. C’est particulièrement vrai dans certains secteurs comme la banque, la téléphonie et le secteur public. Pourtant, on sait que 80% de ces données ne sont pas utilisées ce qui veut dire que toutes les données sont accumulées, stockées et consomment de l’énergie informatique, et donc du budget, mais ne sont finalement pas utilisées ou pas complètement ou pas suffisamment. En parallèle, apparaissent de nouvelles formes de données qui sont liées à l’air du temps : données de géolocalisation avec les smartphones, données machine-to-machine des objets connectées et données, bien sûr, des réseaux sociaux. Toutes les entreprises n’accèdent peut-être pas à ces informations et pourtant, elles contiennent probablement de la valeur additionnelle pour elles.
On se retrouve donc avec une problématique Big Data que l’on peut appréhender de différentes façons. Soit de façon catastrophiste, comme les vendeurs d’IT et d’informatique, on se dit alors que l’on est dépassé. On peut aussi adopter une approche plus opportuniste qui consiste à se dire qu’il y a sûrement dans ces données un gisement de valeur qui mérite d’être exploité. Cela peut amener jusqu’à la création de nouveaux business modèles dont Google, Amazon, Facebook et Apple sont d’excellents exemples. Dans le domaine marketing, la connaissance clients va permettre d’adresser la bonne offre, au bon client, au bon moment. Il existe aussi de nombreuses applications en matière de sécurité alimentaire, de sécurité des transactions financières, de lutte contre le terrorisme…
Quelles sont les tendances en matière de data marketing ?
Il y a une thématique incontournable qui est la personnalisation. Aujourd’hui, le consommateur veut être reconnu comme un individu unique. Regardez par exemple, nous sommes nombreux à avoir un iPhone mais nous avons tous des coques personnalisés. Cela révèle à la fois un côté « luxe de masse » avec des produits comme l’iPhone, les Nespresso, les macarons Ladurée… et le besoin de personnaliser. C’est un vrai enjeu marketing. Il ne faut pas pour autant tomber dans de l’utilisation exagérée de ces données. Ce serait une vision très court-termiste que de tomber dans le même écueil que l’emailing et tous les spams générés. J’espère que l’on dépassera cela pour être dans une vraie relation de partenariat, de proximité entre le consommateur et les marques. Par exemple, on ne peut pas imaginer que les futures voitures connectées ne deviennent qu’un déversoir pour des promotions et ne proposent pas des services pour la sécurité et le confort des passagers.
Comment aborder la problématique de valorisation des données que vous évoquiez ?
La donnée est une manne qui permet non seulement d’améliorer certains processus métiers mais aussi de créer de nouveaux modèles économiques. Je peux vous citer l’exemple d’une opération que nous menons actuellement en Angleterre avec une joint-venture issue de trois principaux opérateurs télécoms anglais. Ils ont mutualisés leurs bases de données, ce qui représente 80 millions d’abonnés ! C’est un potentiel énorme à valoriser auprès des acteurs de la grande distribution, de tous les annonceurs en général, des agences etc. grâce à la géolocalisation. En effet, s’ils couplent ces informations avec leurs connaissances des comportements d’achats, on peut imaginer des actions marketing ultra-pertinentes et donc ultra-performantes. On voit bien apparaître là un nouveau business model où à la fois deux acteurs de deux mondes différents partagent leurs données pour créer de la valeur, et où des acteurs pourtant concurrents ont intérêt à mutualiser leurs informations.
Jusqu’où pourront aller ces nouveaux business modèles autour de la data ?
L’un des axes économiques majeurs de l’ère digitale sera celui du paiement mobile, estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars à l’horizon 2015 par des cabinets d’études américains. Potentiellement demain, au lieu de payer avec notre carte bleue, nous paierons avec notre mobile, nos lunettes ou tout autre objet connecté. Le challenge sera de cristalliser l’ensemble du cycle de vente et de promotion à travers un même outil. Celui qui maîtrisera l’ensemble de la chaîne de la promotion à la transaction verra l’ensemble du cycle et possédera un avantage substantiel. Annonceurs, industriels, agences, opérateurs… ces acteurs tentent tous de se positionner et certains investissent massivement sur le portefeuille mobile.
A l’heure qu’il est, personne n’est en mesure d’assurer la chaîne totale, donc on va certainement vers des rapprochements et des partenariats. Dans l’esprit de monétisation des opérateurs, on est très clairement dans une logique où plutôt que de vendre du tuyau de communication, ils valorisent leurs données et essayent de prendre une part de ce fameux gâteau en étant acteur de cela plutôt qu’en subissant.
Comment les marketers s’approprient le sujet de la donnée, et plus globalement celui de l’ouverture à de nouveaux business models ?
Il me semble primordial que les professionnels du marketing s’approprient ces tendances. Notamment parce que la donnée permet de prendre les bonnes décisions sur la base d’informations fiables et objectives tout en assurant une meilleure évaluation du retour sur investissement des campagnes.
Au-delà de ça, on voit bien que le concept de concurrence est un peu dépassé dans certaines situations. Dans l’exemple des opérateurs anglais que je vous citais, on voit bien comment leur association vient contester la légitimité d’autres acteurs sur leurs territoires, dans ce cas, des opérateurs télécoms qui investiguent le marché de la publicité et de la distribution. C’est cette contestabilité qui amène à la disruption. C’est également ce que fait en ce moment Amazon qui teste dans certaines villes américaines la livraison de produits frais. Là, il vient clairement empiéter sur le terrain des grandes surfaces. On pourrait aussi citer ce qu’a fait Apple avec l’accès à la musique.
Dans ce contexte, quels seront les liens demain entre les DSI et les directions marketing ?
Aujourd’hui, les directions informatiques sont plutôt suiveuses parce qu’elles restent très orientées sur les coûts, et peu sur les besoins métiers. A mon sens, l’informatique devrait porter l’innovation mais elle est souvent dans un combat d’arrière-garde qui est souvent sur les coûts et pas sur l’innovation. Cela s’explique par le fait que bien souvent, notamment dans les grandes entreprises, la DSI est associée à la direction financière. La réaction côté métier, c’est maintenant de consommer de l’informatique à l’extérieur sans recourir à sa DSI. C’est ce qu’on appelle le « shadow IT ». On se retrouve avec des directions marketing qui créent leurs propres solutions sur le cloud sans que leur DSI y ait la main. Par contre, cette même DSI se retrouve quand même chargée d’alimenter cette solution en données, ce qui va l’amener à consommer des ressources contre son gré. Il y a donc un vrai clivage entre DSI et métiers.
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